Mounir Satouri, eurodéputé des Yvelines, nous livre son témoignage depuis la Syrie

Je vous écris depuis le nord-est syrien, entre Hassaké et les camps de détention où survivent encore des dizaines de femmes et d’enfants français. Ce matin, nous avons franchi le poste-frontière kurde vers 11h. Quarante minutes plus tard, nous arrivions au camp de Roj.

Trois heures plus tard, nous en sortions. Tout s’est déroulé sans incident. Nous avons pu rencontrer plusieurs femmes françaises détenues avec leurs enfants, échanger avec elles, écouter leurs récits. Mais il faudra du temps et du silence pour pouvoir raconter tout ce que ces voix étouffées nous ont dit aujourd’hui.

Ce qui frappe immédiatement, en arrivant, c’est l’odeur. Une odeur persistante de fioul, qui vous prend à la gorge. Le camp est encerclé par des puits de pétrole. Les enfants y grandissent depuis des années dans cette cuve toxique, sans école, sans soin, sans perspective. Certains y vivent depuis plus de sept ans. D’autres y sont nés. Ils n’ont connu d’autre monde que celui de la détention, de la poussière, du froid, de la chaleur et de l’abandon.

Ces enfants sont les damnés de notre République. Des enfants français, enfermés avec leurs mères dans un no man’s land juridique, loin de tout, loin de nous.

Je suis ici avec deux membres d’Avocats Sans Frontières, une représentante du Conseil national des barreaux et la présidente d’une association de solidarité internationale.

Nous sommes venus parce que la France ne peut pas continuer à détourner les yeux. Parce que ces enfants n’ont pas à payer pour les fautes de leurs parents. Parce que les droits fondamentaux ne s’arrêtent pas aux frontières.

Nous avons ensuite pris la route vers la base militaire américaine d’Hassaké, pour un rendez-vous avec Ilham Ahmed, la figure diplomatique de l’administration autonome kurde. Demain, une étape encore plus difficile nous attend : aller à la rencontre des garçons devenus majeurs, séparés de leurs mères car ils ont eu 15, 16 ou plus — l’âge à partir duquel on les considère comme des “menaces potentielles”. Ils vivent dans des centres distincts, isolés, souvent brisés.

Pourquoi la France doit agir maintenant

La situation est connue, documentée, condamnée.
La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France en 2022 pour son refus de rapatrier ses ressortissants. En mars dernier, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions de rejet opposées à huit mères françaises et leurs 29 enfants.
Les comités de l’ONU sur les droits de l’enfant et contre la torture ont, eux aussi, condamné la France.

Et pourtant : rien ne bouge. Le blocage est politique.

Dans le camp de Roj, 120 enfants français survivent dans l’ombre. Privés de tout. Dans la boue, dans le froid, dans la chaleur étouffante et dans la peur.

Ce sont des enfants.

Des enfants français.

En droit international, tout enfant associé à un conflit armé est d’abord une victime. Notre pays ne peut pas les abandonner, comme s’ils étaient des ennemis, comme si leurs droits avaient été révoqués par naissance.

Alors que la Belgique, la Suède, les Pays-Bas ou l’Allemagne ont organisé des rapatriements clairs et massifs, alors que l’Ukraine vient de le faire cette semaine, la France tergiverse depuis six ans. Elle a opéré quelques retours au compte-gouttes, séparant parfois des fratries, agissant au gré d’arbitraires décisions politiques, jusqu’à suspendre toute opération depuis 2023.

Le résultat est glaçant : des enfants meurent à petit feu dans ces camps. Certains sombrent dans le désespoir, la maladie ou la violence. Laisser ces enfants sans soin, sans avenir, sans lien, c’est les exposer à la radicalisation. C’est compromettre à la fois leur avenir, leur sécurité… et la nôtre.

Rapatrier, c’est protéger. C’est aussi rendre justice.

Ces femmes sont sous le coup de mandats d’arrêt internationaux. La justice française peut — et doit — les juger ici. C’est ce que demandent aussi les victimes françaises du terrorisme, qui veulent que justice se fasse en France, dans nos tribunaux. La plupart des femmes rapatriées ont été condamnées à de lourdes peines. La France dispose de l’arsenal antiterroriste le plus dur d’Europe. Il est temps de s’en servir pour juger, et non pour abandonner.

Aujourd’hui, certaines mères refusent même d’être rapatriées, car elles savent qu’on leur arrachera leurs enfants dès leur retour. Que ces enfants seront placés, parfois sans visite pendant des mois. La peur du traumatisme est telle qu’elles préfèrent l’enfer du camp. Voilà à quoi mène l’incohérence et la brutalité de notre politique actuelle.

Cent vingt enfants français attendent.

Leurs grands-parents attendent.
La justice attend.
La société attend.
Et nous, parlementaires, professionnels du droit, citoyens, attendons encore une chose : que le président de la République prenne enfin ses responsabilités.

La France ne peut pas continuer à s’aveugler.

Nous devons appeler solennellement à un changement complet de politique :

– au rapatriement immédiat des enfants français et de leurs mères,
– à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant,
– au respect de nos engagements internationaux.

Protéger ses enfants, les ramener, les soigner, les accompagner toujours : c’est cela, un pays digne.