Tribune publiée dans le Monde : « En renonçant au statut d’établissement public des parcs nationaux, la France perdrait un instrument majeur de protection de la biodiversité »



Collectif

Au nom de prétendues économies et simplifications administratives, le projet de réforme de la gestion des parcs nationaux contredit les engagements de la France destinés à préserver la biodiversité, alerte un collectif de juristes et de scientifiques dans une tribune au « Monde ».

Une commission d’enquête sénatoriale a rendu, le 3 juillet, un rapport sur les agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’État. Ce rapport préconise notamment la suppression de plusieurs institutions environnementales : l’Agence de la transition écologique (Ademe), le Conservatoire du littoral et les onze établissements publics qui gèrent les parcs nationaux.
Le Conservatoire du littoral a vivement riposté (avec, notamment, une tribune dans Le Monde, plusieurs pétitions, des prises de parole d’élus) et semble sauvé aujourd’hui. En revanche, l’inquiétude est grande pour les parcs nationaux et la protection de la nature.
Le plan concocté est le suivant : les onze établissements publics disparaîtraient en tant que tels ; ils fusionneraient et seraient intégrés à l’Office français de la biodiversité (OFB). Ils contribueraient ainsi à lui donner une image plus « positive » – les parcs nationaux attirant plus de dix millions de visiteurs chaque année. L’OFB, chargé notamment de constater les infractions et de dresser des procès-verbaux, et fortement critiquée par certains syndicats agricoles, serait par ailleurs privé de ce pouvoir répressif.

Acquis inestimable

A l’intérieur de l’OFB, le régime des parcs nationaux serait calqué sur celui des parcs naturels marins, ce qui signifie que les directeurs n’auraient plus aucun pouvoir réglementaire. Les conseils d’administration deviendraient des conseils de gestion délégués, sans pouvoir de décision. Ils ne se prononceraient plus sur le budget et ne pourraient qu’émettre des avis ou des vœux qui remonteraient au conseil de gestion central des parcs
nationaux. Ce dernier pourrait, s’il les faisait siens, les transmettre aux autorités préfectorales (préfet de département ou préfet maritime, selon l’espace concerné).
Les préfets, seuls, auraient le pouvoir d’adopter les mesures réglementaires correspondantes. Tout cela se ferait évidemment au nom de la simplification administrative ! Les conseils scientifiques des parcs nationaux, eux, deviendraient des plateformes de discussion sans aucun pouvoir propre ; les scientifiques qui agissent bénévolement au sein de ces conseils, sans espérer la moindre retombée en matière de carrière, les abandonneraient très vite.
Les pouvoirs publics espéraient une économie de 3 milliards à 4 milliards d’euros, selon la ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin. Le Sénat, pour sa part, malgré beaucoup de bonne volonté, n’a pu mettre en évidence que 540 millions d’économies possibles (mais absolument non avérées ni démontrées, dans un rapport qui procède par simples affirmations).
Début 2025, l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable avait rendu un rapport, mis sous embargo depuis, qui concluait au rejet d’une telle réforme ; le texte relevait que « les parcs nationaux constituent un modèle sans équivalent en matière d’intégration des politiques publiques » et sont « créateurs de valeurs socio-économiques pour gérer des territoires exceptionnels qui sont des biens communs ».
Au lieu de préserver cet acquis inestimable, le projet de réforme choisit la mise à bas de ce qui a été construit pendant plus de six décennies (la première loi sur les parcs nationaux datant de 1960), au nom d’économies et de simplifications administratives fantasmées.
Pourtant d’autres solutions sont possibles, plutôt que de renoncer au statut d’établissement public et à ses avantages. Elles passeraient, plus simplement, par la recherche des voies et moyens pour mutualiser davantage certaines fonctions supports au sein de l’OFB et pour s’assurer que cet Office joue effectivement son rôle, notamment dans la recherche de financements (européens par exemple).

Équilibre fragile

Selon des bruits de plus en plus insistants, le gouvernement n’exclurait pas le recours aux ordonnances pour contourner le Parlement en vue de réformer la loi de 2006 (dite « loi Giran ») qui avait modernisé les parcs nationaux, notamment pour les rapprocher des acteurs locaux. Ce lien avec les territoires pourrait être rompu, sans débat démocratique digne de ce nom.
Devant de telles aberrations, devant le risque de perdre un des instruments majeurs de la protection de la biodiversité des territoires exceptionnels qui les accueillent et de surveillance des changements globaux dont ils sont des laboratoires privilégiés ; devant le risque de voir remis en cause l’équilibre fragile qui avait été trouvé entre l’Etat et les territoires, nous appelons le gouvernement à abandonner un projet aussi funeste. Celui-ci nuira à l’image de la France, il est même de nature à contredire ses engagements internationaux sur la protection forte de la biodiversité.

Nous appelons à la mobilisation dans les territoires concernés comme à l’échelon national afin de s’opposer à ce projet, et à saisir les députés et les sénateurs pour veiller, au moins, à ce que le Parlement ne soit pas écarté de ce débat.

Premiers signataires : 

Philippe Billet, président d’honneur de la Société française pour le droit de l’environnement (SFDE), professeur de droit public, directeur de l’Institut de droit de l’environnement de Lyon ; Bernard Chevassus-au-Louis, président d’Humanité et biodiversité ; Frédérique Chlous, professeure au Muséum national d’histoire naturelle ; Jérôme Fromageau, président d’honneur de la SFDE ; Simon Jolivet, président de la SFDE, maître de conférences HDR en droit public, université de Poitiers ; Gilles J. Martin, professeur émérite de l’université Côte d’Azur, président d’honneur du conseil scientifique du parc national de Port-Cros et de la SFDE ; Frédéric Médail, professeur en écologie et biogéographie, Aix-Marseille Université ; Agnès Michelot, présidente d’honneur de la SFDE, professeure de droit public, La Rochelle Université ; Michel Prieur, président d’honneur de la SFDE, professeur émérite de droit de l’environnement, université de Limoges ; John Thompson, président du conseil scientifique du parc national du Mercantour et président de la commission scientifique des parcs nationaux. La liste complète des signataires est à retrouver ici.