Un éclairage écologiste des conflits au Sahel par Damien Deville

Davantage qu’un article, ce texte propose d’étayer une réflexion et quelques éléments de langage sur la crise sécuritaire au Sahel à partir de l’écologie politique. Cet enjeu est complexe, fait appel à différents ressorts et à une épaisseur historique et anthropologique telle, qu’il serait bien présomptueux de vouloir apporter des réponses tranchées. Néanmoins, cette crise me touche particulièrement, car je partage actuellement ma vie entre la France et le Burkina Faso et j’avais envie d’apporter un regard sur ces terres gardiennes d’un fragment d’humanité, sur ces terres qui doivent nous permettre de repenser la solidarité.

Quelques mots de contexte d'abord sur la situation particulière du terrorisme au Sahel. Elle fait référence à des groupes extrêmement pluriels, allant de groupes indépendantistes Touaregs, à des groupes de rebelles armés en rupture avec les systèmes politiques dans lesquels ils évoluent, en passant par des groupes terroristes "classiques" affiliés à Al Qaïda. Cette mosaïque invite dans le raisonnement, une difficulté : celle de la diversité des revendications (quand revendication il y a) et de la diversité des modes opératoires de ces différents dits groupes. Ces revendications sont parfois peu lisibles sur la scène médiatique. Face à ces dernières, les états africains ont choisi des stratégies diverses : certains choisissent la négociation, d'autres le conflit armé. L'opération barkhane, quant à elle, a très majoritairement opté pour une stratégie du rapport de force, d'intervention sur des cibles précises et de sécurisation des grandes villes de la sous-région, le tout en appui des armées locales.

Depuis quelques temps néanmoins, la donne a changé. Les groupes terroristes ont bien compris la stratégie des forces françaises au Sahel et ont changé de braquet : au lieu de viser les villes par des attaques ciblées, ils prennent possession de certaines zones rurales et se mettent à administrer les populations locales. Ces zones, étant souvent désertées par le service public et par l'armée, gangrénée par la corruption, les groupes armés trouvent dans ces villages peu de résistance.

Cette situation particulière invite à regarder le Sahel autrement pour être en mesure d’apporter des réponses politiques pertinentes :
- Les groupes terroristes profitent souvent des conflits ethniques dans des territoires reculés pour s'imposer. Cela résonne avec le fonctionnement des états africains qui, dans l'Afrique francophone, ont suivi le même modèle Français : un modèle centralisateur. Or dans une Afrique où chaque pays dispose d'une centaine de peuples et où les découpages des pays ne se superposent pas aux épaisseurs anthropologiques de ces mêmes peuples, il s'agit de penser autrement la place de l'État : des états unitaires décentralisés apparaissent ainsi comme un horizon intéressant, pour reprendre également le constat de Ousmane Sy, ancien ministre de l'administration territoriale au Mali, récemment interviewé dans Jeune Afrique.
La facilité des groupes terroristes à s'imposer dans les zones rurales peut ainsi être vue comme une crise de la représentation de l'État et de la cohésion sociale dans les pays sahéliens.

- Construire une cartographie fine des groupes dits terroristes, et de leur revendication, permettrait de diversifier les outils politiques, diplomatiques et militaires à apporter face à cette crise. Ainsi, certains groupes ont des revendications d'ordre social et territorial, je pense notamment aux Touaregs qui souhaitent avoir une meilleure représentativité politique et des droits à la différence. Par extension, leur manière d’être et leur mode opératoire les rendent singulièrement différents des groupes liés à Al-Qaïda. Une telle cartographie permettrait de savoir avec quel groupe armé des pourparlers peuvent être engagés, et comment des alliances peuvent être reformulées pour lutter de manière collective contre Al-Qaïda. - Le manque de connaissances fines sur chacun des groupes armés amène un autre constat : les militaires, et notamment les militaires européens, connaissent souvent peu les réalités locales des zones dans lesquelles ils interviennent. Or dans les structures sociales africaines, il existe des communautés avec lesquelles une action de repérage, de veille, de gardiens des territoires pourrait être portée. Je pense notamment aux cheikhs, aux dozos et aux autres figures locales qui ont influence dans leurs territoires. Certains économistes comme Felwine Saar, parlent de ces figures comme de véritables agents de relations sur les territoires. Sur ce point précis, l'écologie politique apporte un vrai regard, permettant de mieux comprendre les diversités locales et d'agir avec elles. Pour le moment, elles ont tendance à être mises sous les radars de l'action militaire au Sahel. On se prive ainsi de chemins d'action et de liens entre une action militaire et une action civile concertée face à un ennemi commun.

- Enfin sur la scène internationale, une avancée notable doit être saluée : le président Emmanuel Macron a reconnu la part de responsabilité de la France dans le chaos en Lybie et par extension dans l'insécurité au Sahel. La seconde venant dans la première. Davantage que de reconnaitre, il s'agit maintenant de restaurer la paix au Sahel. Réparer cela semble être du ressort de la communauté internationale. Telle mobilisation pourrait permettre de tempérer les intérêts économiques liés de l'intervention française au Sahel (qui ne sont plus si importants qu'avant en Afrique francophone mais présents tout de même) tout en permettant une action concertée et réellement collective auprès des états Africains. Là encore, l'écologie, par le nouveau rapport à l'universel qu'elle prévaut, a une voix forte à porter auprès de la communauté internationale.

Puisse le Sahel redevenir terre de partage et terre de paix !